LE SYNDROME POST-TRAUMATIQUE KULMBACHIEN

 

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Le cabinet est austère, plongé dans la pâleur des rideaux tirés. La situation pourrait être banale : je suis allongé sur un divan, le thérapeute est assis près de moi et prend des notes. C'est un lacanien, tendance saucisse de Franckfort.

- C'est votre généraliste qui vous envoie. Dans son courrier, il m'indique que votre souffrance psychologique est intense, que votre cas le dépasse. Parlez-moi de votre expérience.

- Et bien voilà : j'étais là-bas.... Avec mes camarades.

- Vous y étiez ?

- Oui (silence prolongé). C'était dur, très dur ! J'ai vu des camarades tomber. Ceux qui sont rentrées étaient truffés de plomb et d'éclats de métal. D'autres avaient sombré dans l'alcool, la bière... Certains en ont perdu la raison. D'autres encore souriaient bêtement en permanence, l'air hagard, le regard vide. Moi je m'en suis tiré physiquement, mais je suis sujet au cauchemar. Comment expliquer tout ça à leurs femmes et à leurs enfants ?

- Dites «  le mot »

- Kulmbach, m'écriais-je en pleurs. Pourquoi m'en suis-je sorti et pas eux ? Personne n'est rentré indemne. Dans l'ambulance grise que je conduisais au retour, mes camarades, très marqués, en parlaient tout le temps, en frères et sœur d'armes. C'était la fraternité du feu. Mais nous voilà de retour à la vie civile. Nous sommes brisés.

- Vous souffrez du syndrome post-traumatique kulmbachien. Il est puissant. C'est un syndrome courant chez les sujets qui ont subi un choc sévère, comme un séisme de magnitude 9, la guérilla alsacienne ou la cuisine anglaise. Ses effets sont irréversibles et l'on peut craindre une addiction au jaune de mars. Parlez- moi encore.

- De temps en temps, nous avions des permissions à l'arrière, sur le stand. Mais nous savions les copains là-bas, seuls, abandonnés à leur terrible sort. Alors, on y retournait, encore et encore. C'était dur, très dur !

- Le mieux est encore de vous réunir entre vous. La thérapie de groupe est la seule efficiente, avec la quête sur la voie publique. Je crains que la guérison ne prenne du temps ; un an, sans doute deux. Je vous conseille également des loisirs paisibles comme la peinture ou la lecture de revues historiques.

- Merci docteur, je vais joindre les anciens et leur proposer une première thérapie de groupe le 21 septembre.

- Cela dit, par-delà les moments de honte et de détresse que vous éprouvez, vous pourrez dire fièrement à vos petits-enfants : «  aout 2013 à Kulmbach, mes camarades et moi, nous en étions ! »

Et il me prescrivit deux ans d'arrêt maladie.

Moralité : un plat d'étain dans la poche vaut mieux que deux tu l'auras.

             Fraternité kulmbachienne,

                                                                   Benoît

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