Hommage à Klaus J. Hoffmann

         Il y a quelques semaines, peu avant notre salon de Lunéville, nous avons appris le décès de Klaus J. Hoffmann.

          Pasteur, figuriniste globe trotteur, Klaus était membre de l’association de Coblence. Il était de toutes les manifestations que nous organisions et on se souviendra de sa bonne humeur et de sa gourmandise (il avait, parait-il, mangé sa meilleure tarte au pommes il y a quelque temps à Haguenau !!! –souvenir personnel-).

          Il y a quelques années, suite à notre exposition à Saint-Privat, il avait rédigé un article pour notre éphémère bulletin et je souhaite aujourd’hui le publier sur ce site en forme d’hommage à notre ami disparu.

 

Prisonnier de guerre – Jouy Aux Arches 1870

Image 

Ce n’est pas seulement que le module et la carte postale exposés à Saint Privat  m’avaient plongé dans une réflexion profonde. J’étais même curieusement touché ; au plain milieu d’une guerre assez sale (cf. par exemple le chronique « Fröschweiler Chronik. Kriegs und Friedensbilder aus dem Jahr 1870 von Karl Klein, ehedem Pfarrer zu Fröschweiler im Elsass », nous butons sur une scène humaine qui m’a bouleversé. Bien entendu, la littérature nous a fait le récit d’autres exemples de respect mutuel et de philanthropie par les deux parties, mais cette scène m’a intrigué à tel point que, lors de notre retour, j’ai dit à mon ami figuriniste Reinhold Pfandzelter : « j’aimerai bien colorer cette scène. Mais où se procurer les figurines et surtout la carte postale permettant de créer l’arrière fond ? ». Mon ami m’a promis de s’en occuper.

Mais quelle surprise lorsque M. Pfandzelter m’a apporté et les figurines et la carte postale à l’occasion de la rencontre des collectionneurs du 9 décembre 2000. La discussion s’est tout de suite déchaînée : Qui est l’officier avec son monocle ? Si l’on en croit la carte postale qui ne montre que le dos des officiers, il doit s’agir d’un uhlan. Mais la figurine éditée par Tobinnus n’avait ni l’ulanka, ni les épaulettes. Elle ne portait qu’une tunique droite.

Justement une semaine auparavant, j’avais commandé chez un bouquiniste un catalogue à prix réduit sur une exposition vouée au peintre historique allemand Anton Von Werner, qui avait eu lieu à Berlin en 1993. Le livre m’a été livré deux jours après notre réunion de collectionneurs. Je feuillette et, la surprise me frappe ; à l’origine, la scène se basait sur un tableau créé par A. Werner, dont j’avais une reproduction en couleurs magnifiques sous les yeux, représentée sur deux pages en 48 X 30 cm.. J’ai eu un cri d’extase ! Feu vert pour mon entreprise. La question de l’officier était résolue elle aussi. Selon Werner, il s’agissait d’un uhlan avec parement de manche, collet et ruban de bonnet en couleur jaune.

Trois semaines plus tard, j’avais terminé le diorama. En libre adaptation de la toile de Werner, les cinq figurines de Tobinnus avaient été complétées par quelques soldats en bivouac et par un charriot d’approvisionnement avec cheval. Il ne restait plus qu’à faire la reconstitution exacte du vieux Jouy Aux Arches avec son viaduc et de présenter le tout aux amis collectionneurs à l’occasion de la prochaine réunion, le 13 janvier 2001 à Coblence.    

Il est évident qu’une figurine plate, une fois produite, ne se prête que rarement aux modifications. J’ai passé trois jours environ à me casser la tête pour savoir comment j’allais transformer l’officier normal en uhlan. S’il était possible de lui refaire une ulanka en râpant doucement les boutons du milieu et en lui traçant une ulanka à double rangée de boutons, la reproduction des grandes épaulettes profilées n’était plus envisageable, il faudrait avoir une nouvelle figurine.

Au milieu de ces réflexions profondes, je me suis ms à relire l’historique de la création du tableau. C’est ainsi que j’ai obtenu le renseignement et la liberté d’action quémandée. Il faut savoir que le tableau représente une scène librement conçue par l’artiste. Le peintre l’a arrangée de cette manière en choisissant à son gré les personnages qui entouraient le couple. Alors je pouvais faire de même pour mon arrangement et mon diorama. Concernant la figurine en question, j’avais le droit de me munir d’un autre officier et d’honorer ainsi la proposition de Tonnibus.

Cet officier appelé à bien s’intégrer dans le milieu des figurines existantes, je l’ai trouvé en feuilletant l’album des cigarettes « Sturm »[i] ; « Deutsche Uniformen » Tome 1 (1864 -1914). A mon avis, un second-lieutenant du bataillon poméranien de chasseurs n° 2, était parfaitement adapté à mon projet. Ce bataillon a participé, en 1870, à la bataille de Gravelotte – Saint-Privat et à l’encerclement de Metz. Il s’est fait une réputation de bravoure qu’il a manifestée lors de l’investissement de la ferme Saint Hubert. Vu mon penchant pour les chasseurs (j’étais chasseur moi-même), je lui ai fait une tenue verte avec les insignes correspondants.

En effet,  l’arrière fond historique du tableau est le suivant : l’évènement, bientôt devenu légende et souvent rapporté dans les salons prussiens, a, d’une façon ou d’une autre, atteint le cœur du peintre Von Werner qui ne trahit pas sa source. Mais il insiste sur le fait qu’il s’agit d’un évènement réel qui a été représenté.

Incité par la princesse Wilhelmine de Baden, il a créé dès l’année 1871, un brouillon en aquarelle. En 1885 seulement, suite à une randonnée à Metz, Ars /Moselle et un détour par Jouy aux Arches (dont il fait une esquisse le 25 août sur fond de son aqueduc), il a commencé  sa toile à l’huile au format de 106 X 157 cm, qu’il a terminé en octobre 1886. Il l’a nommé « Devenu prisonnier de guerre »

La terre très boueuse et creusée de la rue du village fait penser que l’évènement remonte à l’automne 1870 (mois de septembre ou d’octobre) riche en pluies, période qui a précédé la reddition de la forteresse de Metz. Le 25 août déjà, le général Steinmetz avait transféré son quartier général à Jouy aux Arches. Représentés en couleur bleue, les soldats en bivouac rappellent un peloton d’une compagnie de service attaché à l’état-major, confirmant mon hypothèse.

Tout cela est fait pour apaiser la conscience de l’amateur de la coloration de figurines d’étain. Quand je contemple la scène et me plonge dans le vif de la situation, mes pensées me portent plus loin. Me souvenant de mon propre destin de prisonnier de guerre en 1945, je me demande où l’on a mené ce fantassin français ? Qu’est-ce qu’il est advenu ? A-t-il bientôt pu rejoindre sa femme et son enfant ? Y-a-t-il peut-être des descendants vivants à Jouy aux Arches ? Ou n’est-il pas plus probable que cet épisode de guerre ne relève que du domaine des légendes et des anecdotes conçues pour minimiser les horreurs de la guerre, comme l’a cru bon de prétendre un censeur à l’occasion de l’exposition de 1993.

Pour mon compte, la joie de construire une scène historique n'a que très rarement été plus complète

Klaus J. Hoffmann

 

 



[i] « Sturm » était une entreprise de cigarettes allemandes connue qui, en guise de mesure de promotion, donnait des images susceptibles d’être collées dans un album.